Frichti n°10

Sublime de frichti, le retour. Focus dominical entièrement dédié au label Wild Silence avec écoute intégrale de trois albums. A l'heure où le bioacousticien Gordon Hempton annonce la disparition probable du silence dans les dix prochaines années, ce micro-label (copies diffusées à moins de 100 exemplaires en CD-R) privilégie une musique des interstices qui redonne tout son sens à l'écoute. Fondé en 2012 par Delphine Dora pour éditer ses propres compositions, Wild Silence s'est ouvert à d'autres artistes au gré des rencontres et des envies. Présentation en trois œuvres.

Susan Matthews & Rainier Lericolais - Before I was invisible (Wild Silence, 2015)
Troisième collaboration pour Susan Matthews & Rainier Lericolais qui débutent Before I was invisible en jouant sur la frontière de l'audible. Difficile de ne pas être subjugué par la mise en place étirée de "The Healer's Art", jusqu'à l'apparition du piano, deux notes immuables, tintinnabulantes et pures  en surimpression d'une trame faite de brouillages imperceptibles, de drones diffus et de divers incursions instrumentales et numériques.  Comme une liturgie arvopartienne imperceptiblement parasitée par une musique de l'effacement, "The Healer's Art" dégage au final une ahurissante impression d'harmonie. Difficile dès lors pour les deux morceaux qui suivent d'atteindre les hauteurs proposées par ces 25' d'état de grâce, mais peu importe, "The Healer's Art" qui justifie à lui seul l'achat de l'album, peut s'écouter à perpétuité.



Richard Moult - Aonaran (Wild Silence, 2013)
Avant chroniquette, la déontologie m'oblige à vous recommander le blog Inactuelles dédié aux "musiques autres", grâce auquel je découvre Richard Moult et m'attarde aujourd'hui sur Wild Silence. Aonaran donc, c'est-à-dire solitaire en gaélique écossais est une superbe découverte. La création d'un artiste pluridisciplinaire - compositeur, poète et peintre - retiré du fracas du monde  pour trouver son inspiration dans les paysages de l’Écosse. Dès lors, quoi de plus naturel que de commencer par le silence pour installer une œuvre d'envergure qui possède même des résonances cosmologique sur l'impressionnant "Rionnag Mór". A la manière de Leafcutter John sur The Forest and the Tree, Richard Moult alterne complaintes folk, compositions impressionnistes et textures électroniques pour une évocation vibrante de la nature. Sans jamais sombrer dans le bucolique, la musique à la fois tenue et libre de Richard Moult permet à l'auditeur, au delà de l'immersion paysagère, d'accéder à une conscience de l'ordre dissimulé derrière la complexité des éléments. Très impressionnant.




Krotz Strüder -15 Dickinson songs (Wild Silence, 2016)
Écoute de 15 Dickinson songs, fraîchement sorti sur Wild Silence. Nouveau paysage sonore, de facture plus classique, celle d'un folk hors-mode, c'est-à-dire hors du temps. En complément de son travail d'écrivain sous le nom de Julien Grandjean, Krotz Strüder publie depuis longtemps et dans la plus grande discrétion une musique imprégnée de poésie (Henri Michaux sur Dedalus Geist, Fernando Pessoa sur Antinoüs). Sur ce nouvel album, il adapte la poésie d'Emily Dickinson, une manière pour ce lecteur de "lire, d'éprouver - de rendre grâce" (Chro, mars 2009), comme un don redoutable qu'il s'agirait de surmonter. L'épreuve des mots et de la vie se transforme dans 15 Dickinson songs en épure mélancolique. Une apparente simplicité  qui doit autant à la musique du feu de camp qu'à Durutti Column, différentes nuances de guitares et de silence entre lesquels résonnent le chant fuligineux de Krotz Strüder pour créer un superbe tourment apaisé.



Publié par BionicVapourBoy, le 25/09/2016